Cet article est le fruit d’un dialogue entre deux praticiennes, l’une questionnant l’autre pour faire émerger une compréhension de son organisation de travail dans un monde en mutation. La première est directrice des opérations au sein d’un organisme de formation de taille moyenne ; la seconde intervient comme tiers dans des organisations en situation de changement, en installant des modalités de travail en intelligence collective. Leur dialogue dessine un monde polyphonique, dans lequel la qualité de l’offre de formation requiert la performance collective d’une constellation d’acteurs, tous soumis à une forte contrainte de penser leur action de façon ajustée aux contextes. Les ressources psychosociales de ces organisations de travail tout autant que les compétences qu’elles abritent deviennent essentielles à la culture du nouveau monde de la formation.
Un nouveau monde de la formation
Comme celles qui l’ont précédée, la loi de 2018 pour la « liberté de choisir son avenir professionnel » valide, par la norme, des changements souvent déjà effectifs dans les pratiques. De fait, elle autorise une plus grande liberté dans la mise en œuvre de projets de formation pour l’ensemble des acteurs (nouvelle défi- nition de l’action de formation, nouveau plan de développement des compétences, nouveau CPF monétarisé, etc.). Elle fait aussi évoluer les rôles et les responsabilités, en modifiant les systèmes de gouvernance, de financement et de compétence, pour l’ensemble des acteurs, depuis l’individu jusqu’à l’Etat. En un mot, elle préfigure un nouveau monde de la formation. Si un nouveau monde se dessine, la question de sa culture – c’est-à-dire de ses règles, de ses objets, de ses lieux, de ses acteurs et de ses risques – doit être explorée. Nous proposons de le faire du point de vue de l’organisme de formation, en questionnant : 1) le modèle économique ; 2) le produit de formation ; 3) la relation aux producteurs de l’offre de formation. Nous chercherons à construire les critères d’un nouveau modèle, dans lequel les diverses parties prenantes seraient associées en responsabilité éthique et opérationnelle.
Repenser le modèle économique
Un marché de la formation en recomposition
Restructurations, regroupements, segmentation de marchés... : un tri sélectif est à l’œuvre. Au continuum d’organismes de tailles variables se substitue une polarisation : une multitude de microstructures constituées de travailleurs indépendants et quelques organismes de très grande taille. Les appels d’offre comportent des niveaux d’exigence (vers le haut) et de rémunération (vers le bas) que seuls peuvent supporter les organismes les plus importants, ceux de taille plus modeste ne pouvant répondre économiquement à cette double contrainte, leurs charges de structure les privant de l’agilité et de la souplesse dont bénéficient les travailleurs indépendants – qui, eux, peuvent baisser les prix mais n’ont pas le potentiel d’investissement suffisant pour s’industrialiser et disrupter leur offre par le digital.
urs des systèmes de production et de commercialisation. Sa fonction d’inter- médiation – entre les formateurs et les clients – pourrait disparaître au profit d’une fonction intermédiaire, rémunérée par un pourcentage du coût de la mise en relation directe sur une plateforme. L’évolution vers un modèle industriel se traduisant irrémédiablement par un développement massif des plateformes commerciales, la place des marchés se restructure dans le secteur de la formation comme dans de nombreux autres secteurs économiques. Un rapport de force émerge, similaire à celui de la grande distribution qui impose son modèle de commercialisation à de petits producteurs qui n’ont d’autre choix que d’industrialiser la production de façon intensive. Voulons-nous d’un tel modèle pour la formation ? Comment garantir un écosystème formatif qui préserverait la pluralité de l’offre ?
Vers une culture de l’investissement
L’évolution des systèmes de formation, la complexité des dispositifs à mettre en place (multiacteurs, pluriannuels, arrivée massive des nouvelles technologies) nécessitent de repenser le modèle économique traditionnel. Hier, l’organisme de formation était construit sur une logique annuelle de rentabilité d’actions unitaires ; le prix de vente devait permettre la prise en charge des coûts de production unitaire et rester acceptable pour le client.
Il est probable qu’une partie des organismes de formation, les plus petits, s’en tiendront à ce modèle traditionnel : un segment de marché court, peu de produits, en vente directe, en autofinancement production-vente, des marges faibles, bien souvent en sous-traitance. D’autres vont se structurer en référence à des modèles concurrentiels, à même de financer de lourds investissements. La conception, la production et la commercialisation des produits supposent alors qu’ils intègrent un écosystème économique et commercial soumis à une forte logique concurrentielle. nouvelle logique d’investissement pluriannuel, avec des amortissements de production sur trois à cinq ans. Le prix de vente acceptable par le client n’est plus directement corrélé au coût réel de l’action. L’organisme de formation est en quête d’interlocuteurs pour mobiliser de nouvelles sources de financement des coûts de production des actions. Il recherche également de nouveaux partenaires pour distribuer et commercialiser les produits et les services qu’il conçoit. L’arrivée sur le marché des pure players du digital bouleverse la culture de l’éducation et de la formation. Si l’organisme de formation souhaite maîtriser l’im- pact de la digitalisation sur ses métiers de production et de commercialisation, tout en restant innovant et concurrentiel face à ces nouveaux acteurs, il doit investir massivement dans les nouvelles pratiques de mise en relation avec ses clients, ses financeurs, ses contrôleurs, et adopter des logiques de recherche-développement. Il ne peut pas faire supporter au produit le coût d’investissement, pas plus qu’il ne dispose de fonds propres suffisants pour prétendre à l’innovation requise. A l’autre bout de la chaîne, l’attendu du client est en mutation : former les personnes plus rapidement, resserrer les temps de formation, réduire les coûts en supprimant certains frais annexes (déplacement, hébergement, restauration), voire faire l’économie des frais pédagogiques eux-mêmes (le formateur devenant invisible). Tel devient l’imaginaire du client.
Pour continuer à proposer une offre à un prix acceptable, qui corresponde à la complexité des critères (multimodal, collaboratif, pluriannuel), l’organisme de formation est contraint d’adopter une logique d’investisseur, et donc de changer de modèle économique. Il doit être en capacité de rechercher des fonds qui lui permet- tent de financer ses investissements pédagogiques et logistiques. Que ces fonds s’inscrivent dans les grandes politiques publiques (plan d’investissement compétences, fonds européens et régionaux, etc.), ou qu’ils proviennent de fondations des grandes entreprises, du financement participatif, de l’actionnariat et de l’emprunt bancaire, la finalité est d’assurer le financement de son activité de recherche-développement. Du point de vue de la responsabilité et de l’éthique, partir à la recherche de partenaires marque une rupture. Un modèle de commerce éthique est à construire. Comment faire du commerce quand le cœur de métier est le développement d’autrui ? Quels nouveaux outils, produits, services, inventer pour per- mettre de nouveaux usages du développement professionnel des individus ?
Le produit et son usage
L’usage refait question
La question de l’usage en formation n’est pas neuve. Elle est la base sur laquelle se construisent l’ingénierie pédagogique et l’ingénierie de formation : « On ne forme pas quelqu’un, il se forme », disait Bertrand Schwartz. Mais la question refait surface quand le cumul de l’évolution technologique, de la restriction économique, de la réduction du temps à y consacrer et des multiples attentes des acheteurs réinterroge la construction même des actions de formation. On attend de la formation qu’elle recouvre une double valeur : professionnelle et marchande. Les attentes clairement formulées par les clients sont celles d’une transférabilité immédiate, dans le travail, des apprentissages issus de la formation. L’action serait désormais réalisée sur des temps courts, centrée sur une restriction des compétences attendues, et conçue en relation directe avec l’objectif de résultat sur l’activité professionnelle. Cette demande d’usage immédiat en situation de travail pour- rait conduire à raccourcir le champ pédagogique des actions de formation : les connaissances et les outils devraient être simplifiés pour faciliter leur transposition. Les diagnostics sur la déqualification et les difficultés d’adaptation au changement dans les métiers soulignent la nécessité d’appréhender la complexité, l’intégration de l’abstrait, et non pas du résultat immédiat de la mise en application d’une connaissance. Comment évoluer avec son métier ? Sans doute en développant l’intelligence mobilisée en situation de travail. Cela n’est pas sans interroger la pratique de formation.
Tenir ensemble la performance, l’efficience et la reconnaissance n’est pas nouveau en formation. En revanche, l’articulation permanente entre travail et formation suscite un vrai changement de culture de l’organisme de formation. Inventer un nouveau rapport aux ressources, au temps et aux outils, repenser les liens entre travail et formation, être comptable d’une obligation de résultat représentent de nouvelles règles du jeu.
Une meilleure transparence de la promesse pédagogique et commerciale
L’organisme de formation devra rendre transparente son offre concernant les promesses commerciales et pédagogiques associées à ses produits. Il devra améliorer la visibilité, pour les clients, de l’usage des actions qu’il propose, afin de leur permettre de faire les bons choix en fonction des problèmes à résoudre en matière de compétences, et de soutenir les individus dans la valorisation de leur développement.
Penser la formation comme un résultat automatique a été un handicap. La standardisation de la production change de critères : rendre l’offre lisible, proposer de nouveaux usages dans des temporalités de mise œuvre différenciés, sans juge- ment de valeur... La conception des produits questionne l’organisme de formation dans l’arbitrage qu’il doit faire : du micro-learning à la certification, en passant par la formation à un métier dans toutes ses dimensions. La qualité intrinsèque du produit et de sa modalité est réinterrogée.
Des modalités combinées
L’organisme de formation va devoir penser des scénarios multimodaux – du plus simple au plus complexe –, dans lesquels chaque étape porte son système qualité en lien avec l’objectif pédagogique. Il s’agit d’être capable d’articuler, de combiner et de scénariser un ensemble de modalités et de modules en lien avec l’usage attendu. Chaque modalité pédagogique, courte ou longue, digitale ou présentielle, doit être passée au filtre d’une multitude d’attentes et d’usages, avec des prix, des durées et des objectifs différents.
Ne pas relever le défi d’une offre complexe, c’est risquer de faire du court terme pour répondre à la nécessité d’employabilité ou de changement, par un résultat immédiat, opérationnel et concret. On pourrait croire à un jugement de valeur selon lequel le court serait moins bien que le long. Ce n’est pas le cas : le micro-learning permet de valoriser la mémorisation en un temps limité comme l’entraînement sur un champ court et pour autant nécessaire. Combiner une offre de micro-learning à un scénario de formation est une façon, pour l’organisme de formation, de limiter le risque de sortie du marché concurrentiel. Mais il lui faut articuler cette offre de formation courte (un concept et une connaissance) à un scénario pédagogique plus élaboré. Sans cela, la formation risquerait de concourir à une perte de sens de l’intelligence de la situation et du métier. Or ce sont bien ces compétences qui sont nécessaires dans les phases d’adaptation rapide, voire de rupture, que traversent les clients et qui justifient leur demande de formation.
Un impératif d’innovation dans la forme et dans le fond
Le modèle standard du temps de formation (deux journées de face-à-face pédagogique, dont 50 % de transmission de connaissances par un formateur) n’est plus un format acceptable. Les formés disposent aujourd’hui de bien d’autres accès à la connaissance. Les plus jeunes veulent retrouver en formation ce qu’ils utilisent ailleurs pour trouver des réponses aux problèmes qu’ils rencontrent. Pour autant, le numérique ne suffit pas à satisfaire la demande. Produire un corporate online open course (COOC) n’est pas coûteux lorsqu’il s’agit de filmer un expert et de proposer un support de formation à télécharger. Ce que cherchent les formés, c’est être accompagnés, s’entraîner avec d’autres à la complexité. Les former, c’est les rendre capables de résoudre des problèmes en situation de travail, de façon professionnelle.
Les approches pédagogiques se multiplient pour offrir de nouvelles modalités de formation. Les nouvelles technologies élargissent les possibilités pour apprendre. Pour autant, simuler des situations professionnelles n’est pas sans difficultés ; avec ou sans technologie, le transfert des apprentissages en situation de travail demeure une question pour le formateur. La pédagogie consiste à entraîner ses capacités et ses connaissances dans des situations où elles seront mises en œuvre : simulation active, analyse de situation, choix d’action... Le transfert des apprentissages générés en situation de travail vers l’espace de formation offre un nouveau potentiel. Il s’agit d’associer la formation à d’autres pratiques relevant de l’apprentissage et du développement des compétences.
L’organisme de formation d’hier est devenu un organisme de développement professionnel, individuel et collectif ; un accompagnateur de développement, de transition, d’évolution.
La relation aux producteurs de l’offre de formation
La multiplication des attentes – celles des décideurs, des acheteurs et des formés – engendre une complexité des parcours et des modalités pédagogiques. Une pluralité de fonctions apparaît, qui se traduit par une variété de missions pour le formateur et l’émergence de nouveaux métiers.
Le métier et la position du formateur
Si la transmission reste au cœur de l’apprentissage, l’animation n’est plus qu’une fonction parmi d’autres pour le formateur-ingénieur-développeur. Le formateur a toujours assuré la mise à jour continue des connaissances et des contenus dans ses champs d’expertise, mais son activité n’était pas pensée comme une activité de recherche-développement. L’innovation introduit un changement de cadre : nouveaux usages, nouvelles pratiques, nouveaux outils. Désormais, le formateur oriente, développe, conçoit des produits digitaux, contribue à l’expertise ou à la régulation au sein de communautés virtuelles, participe à la création de nouveaux produits. Devenu producteur, il doit établir une relation contractuelle avec l’organisme qui l’emploie.
L’alliance entre formateurs et organismes
La pérennité de l’organisme de formation dépend de son investissement dans la valeur du travail des formateurs, experts de haut niveau, à valeur de prestation de haute qualité. Dans le cadre de cette nouvelle relation contractuelle avec le concepteur-producteur de formation, l’organisme doit reconnaître la contribution du formateur à sa chaîne de valeur, dans une relation éthique et responsable. Le formateur n’est plus prestataire, ni fournisseur ou sous-traitant, il est partenaire de nouveaux systèmes de création de valeur, dans lesquels les deux parties vont se rémunérer. Inventer un nouveau service au client impose de repenser la totalité du modèle économique du service. Le formateur n’est plus identifié dans une seule activité d’animation, il s’inscrit dans toutes les étapes du processus de création de valeur : contribuer à la commercialisation (il a un pied chez le client) ; participer au marketing (son influence et sa notoriété peuvent constituer un point d’appui pour proposer un nouveau service). Lorsqu’il anime de son expertise des réseaux sociaux, il peut le faire pour lui-même ou en associant ses forces à celles de l’organisme de formation pour démultiplier son impact, dans une logique gagnant- gagnant. Grâce à la contribution de chacun, la prestation se vend mieux : volume plus important, meilleur prix, services associés apportant de la valeur à l’usage.
Dans un contexte de dématérialisation de l’achat, la pression commerciale de la mise en relation directe du formateur avec le client va pousser l’ensemble du système à « ubériser » cette mise en relation, tout en garantissant le bon expert pour le besoin du client. La question sera alors non pas de faire moins cher et plus vite, mais de faciliter l’acte commercial du formateur, plus exactement son champ d’animation. Celui-ci est devenu un champ de ressources parmi d’autres puisque, par ailleurs, le formateur travaille en partenariat avec l’établissement sur d’autres prestations, d’autres services à valeur ajoutée. De ce fait, le modèle ubérisé induit par la digitalisation de la mise en relation est sous-tendu par une modalité contractuelle éthique et responsable entre l’organisme de formation et ses formateurs.
De nouvelles normes doivent émerger pour que soit engagée la responsabilité éthique des acteurs de la formation. Faire vivre un écosystème de production qui ne génère pas de travailleurs pauvres est une responsabilité partagée par les acheteurs publics et privés, les financeurs et les branches professionnelles, qui déterminent les taux de prise en charge et de financement des dispositifs de formation. Les organismes recourant à des sous-traitants ont à garantir un équilibre pour lequel ils doivent être soutenus. Un label « écoresponsable » pourrait être créé afin de différencier les organismes dans leur rapport à la sous-traitance, et notamment aux formateurs. Cette distinction permettrait d’engager l’ensemble des parties prenantes dans le projet, rémunérées pour pouvoir vivre décemment de leur activité.
Une nouvelle triade : le formateur, l’architecte et le scénariste
Outre son expertise thématique, la fonction du formateur est structurée par la représentation de l’ingénieur. Il conçoit sa pédagogie autour de la capacité à
Pour cela, il utilise une variété de méthodes adaptées aux situations et aux apprentissages. La complexité des parcours à élaborer et la multiplicité des attentes de résultat associées font apparaître le besoin d’une nouvelle fonction, celle d’architecte qui, grâce à sa vision d’ensemble, est chargé d’élaborer des projets que les ingénieurs-formateurs mettront, totalement ou partiellement, en œuvre. L’intégration, dans un projet, des questions d’apprentissage mais aussi d’orientations, de résultats et d’usages (par exemple dans un projet de formation de reconversion et d’insertion à l’emploi), exige de collaborer avec de nouveaux acteurs à chaque étape du projet. Ces derniers doivent être impliqués d’emblée, dans des temporalités différentes de celle du temps de formation. C’est le rôle de l’architecte que de concevoir le projet dans son ensemble, dans sa durée comme dans son résultat, de penser dans une vision globale les emboîtements d’expertises et de ressources. L’architecte conduit la maîtrise d’ouvrage pour qu’ensuite chaque expert-ingénieur pilote la mise en œuvre.
Enfin, l’impact des technologies numériques sur la pédagogie, et notamment sur des parcours longs, faisant appel à des modalités simulant la mise en situation professionnelle, fait naître un nouveau métier, celui de scénariste pédagogique. Scénariser un parcours de formation consiste à replacer l’apprenant dans l’en- semble des situations qu’il est susceptible de rencontrer dans l’exercice de son travail, afin d’imaginer par quels moyens et grâce à quelles méthodes il trouvera les ressources pour résoudre le problème auquel il est confronté. C’est par le biais de sa propre action que le formé découvre les connaissances et les ressources qui l’aideront à faire face aux difficultés rencontrées dans le cadre de son activité professionnelle. L’enchaînement de ces situations pédagogiques doit faire sens, et pour cela, il doit être scénarisé.
Le formé, un coproducteur ?
L’adulte se retrouve en situation de responsabilité, mais sa nouvelle « liberté de choisir son avenir professionnel » n’est pas facile à exercer. Il est invité à participer activement à la coconstruction des contenus et des résultats d’actions, et il est enjoint d’être acteur à part entière de sa formation. La question du « stagiaire actif » pendant la formation devient centrale (celle de la pédagogie active l’est depuis long- temps). Les technologies digitales peuvent aider à répondre à cette attente ; elles permettent de mettre le stagiaire en action dans des temporalités élargies par rapport à une action de formation en présentiel. On peut désormais manier l’interactivité avant, pendant et après la formation. La « réponse », jusque-là réservée au formateur, doit aujourd’hui être le fruit d’une construction collaborative. A distance, en réseau, cette coconstruction se concrétise dans de nouveaux outils de travail collaboratif. Le résultat devient tangible au fur et à mesure qu’il se construit. Les formés attendent que ces pratiques se démocratisent et soient intégrées aux actions de formation.
L’ensemble de ces changements implique de penser les projets dès leur conception, en précisant la contribution et le rôle de chacun des acteurs : architecte, ingénieur-formateur, scénariste et stagiaire. Il s’agit aussi de les accompagner à travailler ensemble. De nouvelles conditions de réussite de ce système pluriacteurs sont à inventer.
Associer pleinement les ressources des fonctions supports
Dans le rapport au producteur et au client, les fonctions commerciales et les fonctions de gestion voient leurs lignes bouger. Les évolutions du numérique impactent également leurs métiers. La dématérialisation de la commercialisation et celle de la gestion administrative sont en cours. Des ventes simples, de type achat sur catalogue, se feront de façon dématérialisée, à la main des gestionnaires. Les commerciaux assureront les ventes complexes dans lesquelles la multiplicité des acteurs sera orchestrée, avec pour enjeu de construire une offre à double résultat : du côté de l’entreprise et du côté de celui qui se forme. Ils devront appréhender des projets qui relèvent de la vision stratégique de leur client et de la contribution au développement des compétences et de la performance. Cela implique un change- ment d’interlocuteur, au-delà du responsable formation, interlocuteur privilégié. Les commerciaux devront être en capacité de dialoguer avec les directions opérationnelles ou fonctionnelles. On attend de la transformation du plan de formation en plan de développement de compétences qu’il fasse remonter l’enjeu de la formation aux enjeux stratégiques des organisations. Du côté de l’entreprise, cela est conditionné par la mise en œuvre d’un réel management par la compétence. Le nouveau modèle de l’organisme de formation implique un changement de culture au sein d’une constellation d’acteurs.
La dématérialisation d’une partie des activités modifie le travail des gestionnaires, souvent nombreux du fait de la charge administrative de la formation. Plusieurs scénarios sont envisageables, qui relèvent de la responsabilité managériale des organismes : depuis le scénario le plus mécanique et le plus économique, qui se traduit par une diminution des effectifs, jusqu’à la prise en compte, dans une vision systémique, de l’évolution des métiers au sein d’un organisme de formation. De nouvelles compétences sont à déployer pour les gestionnaires, notamment autour de la relation avec le client pour développer les ventes simples. L’assistant peut également soutenir les formateurs dans leur nouvel environnement de production en jouant un rôle d’appui à la conduite des projets complexes, de mise en relation de ces nouveaux acteurs et de suivi de leurs interactions.
L’organisme de formation : un « ensemblier »
Pour conclure cette analyse des enjeux du devenir de l’organisme de formation, nous le situerons comme un ensemblier. Une nouvelle compétence s’y structure pour garantir la collaboration avec de nouveaux acteurs, ou avec des acteurs anciens ayant de nouveaux rôles. Conduire des projets complexes et/ou innovants, avec de nouvelles logiques économiques, dans un système de production des projets de développement de compétences en pleine mutation, fait naître des établissements d’un genre nouveau.
L’organisme de formation est appelé à devenir une nouvelle organisation, avec un nouveau rôle et de nouveaux services. Il devient une plateforme de mise en relation d’experts avec les entreprises ou les individus. Il est porteur de certifications dans des métiers ou des compétences en vue de garantir une valorisation des apprentissages. Il joue un rôle de conseil et d’orientation sur les parcours de formation contribuant à une évolution professionnelle. Il conseille les responsables formation des entreprises dans la conception d’un plan de développement des compétences à l’intersection du collectif et de l’individuel. Il conçoit et diffuse de nouveaux dispositifs de professionnalisation, alliant architecture pédagogique, scénarisation, ingénierie pédagogique, pour optimiser et garantir les apprentissages et leur transfert en situations de travail. Il accompagne les entreprises dans leur capacité à développer des situations de travail apprenantes. Il est un accompagnateur polyphonique de développement.
Dans un environnement en évolution, notamment législatif, l’organisme de formation contribue, avec d’autres opérateurs, à l’expérimentation dans les champs du travail, de l’emploi et de la compétence. Le passage de l’expérimentation à l’émergence de normes est incontournable pour inscrire dans la durée les nouvelles pratiques de développement, avec leurs critères d’efficience et de reconnaissance. Ces nouvelles normes doivent être orientées dans une logique non pas de moyens mais de résultats ; elles doivent permettre la conception, la conduite et l’évaluation de la formation dans des conditions réelles d’exercice, en corrélation avec des cadres spécifiques d’exercice. Renouveler le regard sur la promesse de la forma- tion implique de préserver une liberté de mise en œuvre différenciée, adaptée à des contextes locaux, à des rythmes spécifiques. L’entrée de nouveaux métiers dans le champ de la formation impose d’avoir une vision systémique dans la conduite du changement. Les changements des uns interagissent avec la production et les compétences des autres. Si la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel envisage les changements à opérer par certains acteurs dans leurs champs de compétence et de responsabilité, elle est peu explicite quant à l’accompagnement des changements induits pour tous les autres. De nouvelles instances de dialogue, de coordination, de production collaborative, de mise en partage de ressources, mériteraient d’être imaginées et soutenues pour la gouvernance du système de formation. Plutôt que de penser la compétence et le rôle des acteurs en silos (financeurs, acheteurs, producteurs, bénéficiaires...), l’alternative serait d’instruire un dialogue au sein d’un système pluriacteurs. Ce mode de gouvernance articulerait la vision générale au niveau local, avec, à chacune de ces échelles, une représentation de l’ensemble des acteurs. L’instance locale ne serait pas envisagée comme une déclinaison à l’identique du national : elle associerait les parties prenantes locales, structurantes, qui jouent un rôle pour la professionnalisation sur un bassin d’emploi donné. Comment intégrer le nouveau système de production, concilier l’intérêt des stagiaires et celui de l’Etat, articuler le rôle des branches professionnelles... ? Ces instances permettraient de travailler l’articulation de la place de chacun, et des attendus particuliers en vision générale.
Ce qui importe, c’est donc la nature de celles et ceux qui sont autour de la table, ainsi que leur mode de dialogue. Ce qui est attendu de ces instances mérite d’être l’objet d’une ambition : non pas une négociation sur les prix ou les durées
Le nouveau paysage qui se dessine montre l’interdépendance d’une grande pluralité d’acteurs (entreprises, opérateurs de compétences, organismes de formation, région, Etat, Pôle emploi, candidats à la formation...). Il leur est nécessaire de collaborer sur des objets nouveaux, coûteux, et d’en garantir les résultats. Le modèle que nous proposons, celui d’un système de formation « écoresponsable », associant nouvelles instances, nouveaux acteurs, nouveaux modes de dialogue et nouveaux attendus d’utilité sociale, ne pourra advenir que dans un environnement écoresponsable lui aussi.
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